Enseigner la Renaissance? Table ronde, Tours, 19 mars 2016
Journées Flûte à bec Renaissance, 18-20 Mars 2016 Tours
Table Ronde: Enseigner la Musique Renaissance au Conservatoire, embûches et avantages?
Modération: Alain Sobczack
Pendant ces Rencontres Nationales, nous aurons l’occasion d’échanger nos expériences pédagogiques autour de l’enseignement de la Musique Renaissance. C’est à Alain Sobczack que nous avons confié la modération de ce moment. Il évoque son expérience personnelle.
Alain Sobczak, vous êtes un des pionniers de la pratique moderne de la flûte à bec en France. Pourriez-vous nous retracer votre itinéraire ?
J’ai commencé en autodidacte la flûte à bec à une époque où elle était cantonnée dans les mouvements de jeunes (Scouts, Maisons des jeunes…). Après avoir été remarqué dans ma maison des jeunes par un responsable celui-ci m’a dirigé vers le CREPS de Strasbourg où avaient lieu des stages réguliers pour l’apprentissage de la flûte à bec. C’est avec Elisabeth Schoch que j’ai découvert l’univers de la musique ancienne. Puis j’ai fréquenté les stages nationaux animés par Jean Henry et Edgar Hunt où je suis devenu instructeur. Entre-temps Elisabeth Schoch est devenue le professeur de la première classe de flûte à bec de France et m’y a fait entrer. J’ai obtenu mon prix en moins de 2 ans. Elle m’a conseillé de continuer mes études à Bâle et d’apprendre le luth auprès de E. M. Dombois. J’ai commencé à enseigner la flûte à bec au CNR de Strasbourg à la rentrée 1969. Parallèlement je me suis perfectionné auprès de Michel Piguet qui m’a fait découvrir la musique de la Renaissance, les diminutions ainsi que les anches historiques. Peu à peu j’ai intégré ces matières dans mon enseignement. Plus tard j’ai également créé un atelier de gravure et d’éditions musicales. J’ai eu une importante activité de formation en encadrant des stages en France un peu dans toutes les régions. Comme musicien (flûte à bec, hautbois, basson…) j’ai collaboré à de nombreux ensembles en France et à l’étranger et participé à plusieurs dizaines d’enregistrements. J’ai également eu une importante activité dans le domaine de l’édition musicale. J’ai créé en 1990 Les Cahiers du Tourdion, édition musicale plus particulièrement spécialisée dans le domaine de la musique ancienne. En 25 ans plus de 250 partitions ont été éditées, principalement pour la flûte à bec, la viole de gambe, le clavecin mais aussi beaucoup de musique vocale et des ouvrages pédagogiques. Les Cahiers sont bien connus dans le monde de la musique ancienne et exportés dans de nombreux pays. Enfin j’ai également eu une grande activité de formation pour l’édition musicale sur ordinateur dans toute la France particulièrement au CNSM de Paris.
Justement, vous évoquez votre enseignement au CRR de Strasbourg, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées lors de la mise en place de cet enseignement ?
La principale difficulté a résidé dans l’intégration de la flûte à bec dans les cursus normaux d’un conservatoire.
• Rapidement nous avons voulu jouer la musique baroque à 415, il nous fallait avoir des clavecins transpositeurs, rares à l’époque.
• La difficulté de jouer avec des nuances f ou p; il faut faire comprendre aux non-flûtistes que pour la fb les ornements remplacent les nuances d’intensité qu’elle ne peut pas trop faire.
• le volume sonore de la flûte en regard des instruments modernes pour la musique de chambre ; c’est très difficile de faire jouer en musique de chambre une fb et un hautbois moderne, ou de faire jouer le continuo par un violoncelle moderne.
• Ne pas jouer ce qui est écrit : notes inégales, ornementation et agréments, difficilement compréhensible pour les collègues d’instruments modernes ou la hiérarchie.
Une autre grande difficulté fut celle d’avoir de bons instruments pour les élèves, les facteurs avaient des délais parfois de plus de 5 ans. Pour les partitions, peu de marchands de musique avaient des éditions de musique ancienne.
Toutes ces difficultés se sont aplanies peu à peu avec la création du département de musique ancienne, mais le contact avec les collèges d’instruments modernes restait compliqué.
À votre avis, quels avantages le Conservatoire (élèves, collègues) a-t-il retiré de la pratique de la musique Renaissance ?
Pour un nombre restreint d’étudiants, le conservatoire a été une formation professionnelle qui leur a permis de faire partie d’ensembles professionnels spécialisés. Du côté de l’enseignement certains étudiants sont devenus professeurs à divers niveaux (conservatoires, écoles de musique…). Pour les autres cela leur a permis de devenir des mélomanes avertis pour le répertoire de la Renaissance ou de faire partie d’ensembles amateurs se produisant localement. Les collègues ont évolué vers la pratique de cette musique en intégrant les diminutions (clavecin, viole), un nouveau diapason (465), une nouvelle prononciation (chant),des instruments complémentaires ont été proposés : anches historiques (cromornes, chalemie, bombardes, dulcianes), les violes de la Renaissance, luth, saqueboute, cornet, traverso renaissance regroupés dans des ateliers pour exécuter des grandes oeuvres. Il faut remarquer que dans l’histoire les musiciens se sont spécialisés très tard sur un seul instrument, les flûtistes étaient souvent hautboïstes ou bassonistes ou traversistes, les violistes étaient aussi parfois luthistes les violonistes altistes etc. C’est vers cette aptitude à changer d’instrument qu’il faut diriger les élèves et ça commence par toutes les sortes de flûtes à bec.
Aujourd’hui, nous sommes loin d’avoir une pratique de la Musique Renaissance dans tous les Conservatoires. Comment faut-il commencer pour susciter l’intérêt des collègues et de la hiérarchie ?
Le problème de la musique de la Renaissance est qu’elle semble facile d’accès. Qui n’a pas entendu les danseries d’Attaingnant avec toutes sortes d’instruments ? La part de ce qui n’est pas écrit est très importante et très mal connue même par les professeurs. Peu de conservatoires offrent une formation complète pour ce répertoire avec un environnement d’autres instruments comme le luth, la viole, le cornet, la saqueboute… Une formation des maîtres semble être la première des choses à faire en amont. Dans sa classe le professeur de flûte à bec va faire étudier des textes de la Renaissance avec la technique spécifique de cette époque c’est-à-dire les coups de langue, les agréments, les trillo soave et trillo vivace… commencer l’étude des diminutions et de l’improvisation. Pour susciter l’intérêt des collègues et de la hiérarchie, le meilleur moyen sera de présenter des pièces de cette époque, par exemple un quatuor de flûtes avec si possible des flûtes renaissance intégrant la technique spécifique (trillo, diminutions, coups de langue…) et d’expliquer, à ce moment-là les problèmes de mise en oeuvre, surtout avec les autres instruments, de demander la création de classes d’instruments comme le cornet, la saqueboute, le luth qui parlent le même langage. Il est vrai que le flûtiste jouant de la musique sans d’autres instruments de la Renaissance aura du mal à faire exister ce répertoire sauf peut-être en quatuor.
Et si c’était à refaire ?
Je pense que je referais la même chose. Mais ma grande déception reste que le répertoire et les instruments de la Renaissance ne se sont pas développés aussi vite que le répertoire baroque. Je serais certainement plus attentif à ça.
Alain Sobczak a été professeur au conservatoire de Strasbourg pendant 40 ans. Il y a enseigné la flûte à bec et créé plusieurs enseignements comme : les anches baroques (hautbois, basson), les anches de la Renaissance (chalemie, bombarde, dulciane…). Il a également enseigné la musique de chambre, les ensembles Renaissance, et a assuré un cours d’ornementation/diminutions. Il a également créé un atelier de gravure musicale sur ordinateur. Il a aussi eu une carrière de musicien et collaboré à de nombreux ensembles en France et à l’étranger et joué dans de nombreux pays d’Europe. Il a dirigé l’ensemble Le Tourdion qui a donné beaucoup de concerts et produit des CD. Enfin il a créé la maison d’édition: Les Cahiers du Tourdion, spécialisée en musique ancienne.