Julien Feltrin, Douai, 23-26 mars 2018

Bonjour Julien Feltrin,

merci de votre participation aux Rencontres Nationales de flûte à bec de Douai, dont le thème est Musique contemporaine: “Même pas peur”. 

Comment, pourquoi ou depuis quand vous intéressez-vous à la flûte à bec et/ou à son répertoire contemporain ?
Mes deux parents sont des artistes – pas dans la musique- mais dans les arts plastiques. Mon père et mon grand-père étaient tous les deux sculpteurs- et je pense sincèrement que d’être plongé depuis l’enfance dans le milieu de la création m’a forcément influencé et peut expliquer le pourquoi de mon intérêt pour la musique contemporaine. Ce qui est fascinant avec les arts plastiques, c’est que le geste “création” est au centre de cette activité. C’est tout simplement inimaginable pour un plasticien de passer son temps à “refaire” de l’ancien. L’année dernière, au RCM de Londres, j’ai organisé un projet autour de la musique contemporaine pour Fab et improvisation en direct par une artiste peintre. Pendant une pause, cette peintre (qui est étudiante) me pose la question : “et les étudiants instrumentistes, quel genre de compositions ils créent ?” Quand je lui ai répondu que trois quarts des étudiants ne composent pas, elle était sans voix !

Jouez-vous ce répertoire, quel intérêt cela a-t-il pour vous, votre auditoire ou vos élèves ?
Personnellement, l’intérêt de ce répertoire se concentre sur la remise en question perpétuelle de l’approche qu’on peut avoir de la partition, de l’instrument et de notre relation avec le public. Chaque nouvelle partition est un nouvel univers à découvrir – et ce plaisir est encore plus important lorsqu’on travaille en étroite collaboration avec un compositeur pour créer une nouvelle pièce.
L’autre intérêt est que cette esthétique n’est pas codifiée comme peut être par exemple la musique baroque. Finalement, l’expressivité en devient beaucoup plus personnelle. Jouer de la musique contemporaine revient pour moi à aller faire des séances de psychanalyse : par son manque de codes et de règles, la musique contemporaine ouvre un champ des possibles incroyable dans le domaine de l’expressivité et de la sensation physique. L’équilibre entre Physique et Intellect est beaucoup plus respecté : comment l’interprète fait corps avec son instrument sans devoir absolument lire et suivre des tonnes de traités ?

Quelles sont les perspectives aujourd’hui pour ce répertoire ?
Je citerai mon ancien professeur Walter van Hauwe: “aucun compositeur à l’époque baroque ou renaissance n’est jamais parti se coucher en rêvant de la flûte à bec…..” Certes, c’est un peu de la provocation, mais c’est tellement vrai. Je sais, on va me dire: “et Van Eyck?” et bien Van Eyck n’est vraiment connu que des flûtistes à bec!
Si la flûte à bec ne veut pas subir une seconde “petite mort”, la solution se trouve dans la musique contemporaine. Quelle jouissance d’avoir des compositeurs comme Bério, Donatoni, Romitelli, Boulez (qui avait donné son accord pour transcrire à la flûte à bec Dialogue de l’ombre double) qui ont écrit des grandes pièces solos pour notre instrument.
L’avenir de la musique contemporaine en France se trouve dans l’enseignement -tant au niveau des petits élèves que pour celui des futurs professionnels. Le développement de l’écriture contemporaine pour un instrument passe très souvent par une institution pédagogique. C’est un lieu d’expérimentation et de développement indispensable pour notre instrument.
C’est à ce niveau que la France a pris énormément de retard sur d’autres pays européens où la flûte contemporaine est beaucoup plus présente sur la scène professionnelle (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie, Suisse). Le répertoire de musique contemporaine a un catalogue de 7000 pièces (écrites spécifiquement pour cet instrument) et le nombre de concerts dédiés à cette musique et publiés sur ERTA-France ou ASSOFABEC ne doit pas dépasser les 5%…..cherchez l’erreur!

Au niveau du répertoire, l’une des prochaines perspectives sera de développer la musique de chambre. La musique solo n’intéresse en général que le même monde d’instrumentistes. La flûte à bec doit sortir de son propre monde et aller davantage vers les autres instruments modernes (bizarrement, le clavecin a lui parfaitement réussi cette démarche et depuis longtemps)
Enfin, le dernier point passe par la composition : étant donné l’importance qualitative et quantitative de ce répertoire, les étudiants en pôles supérieurs ou en conservatoires supérieurs devraient obligatoirement suivre des cours de composition et travailler systématiquement et régulièrement avec les départements de composition. Les compositeurs français doivent découvrir que la musique contemporaine pour fab ne se cantonnent pas exclusivement à Black Intention et à Fragmente

Pouvez-vous résumer le contenu de vos interventions?
Premier concert le Vendredi soir: musique contemporaine et renaissance polonaise pour consort de flûtes à bec et clavecin. Un classique: arrangments de Serocki et une pièce tout à fait surprenante: Airlines du jeune compositeur W Blecharz. (Concert organisé par l’Association Franco-Polonaise de Douai)
Le samedi: atelier sur la respiration continue – technique qui nous fait prendre conscience du mouvement profond et tellement naturel de notre respiration.
Samedi soir: récital avec mon ami Nicolas Vérin (ingénieur du son, compositeur et mon collègue au CRD d’Evry): récital qui montre un paysage assez général de notre répertoire: solo acoustique, solo amplifiée ou avec live Electronique, session d’improvisation avec live-électronique. Le clou du concert sera la pièce de Nicolas Now and Then and Now pour Paetzold, soprano, ténor et transformation du son en direct.
Dimanche matin: répétition générale sur la pièce de Chiel Meijering: A day in a life of a wooki wooki: très belle pièce contemporaine pour large ensemble de flûte à bec et clavecin (à cette occasion, mes étudiants du RCM de Londres viendront participer). Autre beau moment: le rendu public du travail effectué depuis quelques mois avec les élèves du CRR de Douai (classe de Pascale Imbert Garcia) sur l’improvisation contemporaine avec électronique.